Pourquoi les fuites de données aériennes sont-elles préoccupantes ?
Orphée Grandsable
Pourquoi les fuites de données aériennes sont-elles préoccupantes ?
Les compagnies aériennes constituent une cible privilégiée pour les pirates informatiques en raison de la quantité impressionnante de données personnelles qu’elles collectent. Parmi toutes ces informations, aucun type de données n’est plus convoité par les cybercriminels que les passeports et les cartes d’identité gouvernementales. La récente fuite de données de la compagnie australienne Qantas Airways met en lumière les risques croissants auxquels font face les voyageurs du monde entier.
Les enjeux des fuites de données aériennes dépassent largement le simple vol d’informations personnelles. Elles exposent des millions de passagers à des menaces persistantes pouvant s’étendre sur plusieurs années. Contrairement aux cartes de crédit qui peuvent être facilement bloquées et remplacées, les documents de voyage sont difficiles à remplacer et peuvent être exploités pendant des années dans des fraudes d’identité synthétique, de faux documents de voyage et d’escroqueries d’usurpation d’identité.
Selon une étude de Cyble, base de données de renseignements sur les menaces, plus de 20 fuites de données de compagnies aériennes ont été revendiquées par des acteurs de menaces sur le dark web en 2025, soit une augmentation d’environ 50 % par rapport à la même période de 2024. Cette tendance alarmante mérite une attention particulière de la part des voyageurs, des compagnies aériennes et des régulateurs.
Les enjeux uniques des données aériennes
La valeur des passeports et documents d’identité
Les passeports et les cartes d’identité gouvernementales représentent le trésor le plus convoité pour les cybercriminels. Contrairement aux informations financières qui peuvent être rapidement bloquées, ces documents gouvernementaux offrent aux fraudeurs une porte d’entrée quasi permanente pour usurper l’identité de leurs victimes.
« Contrairement aux cartes de crédit, les documents de voyage sont difficiles à remplacer et peuvent être exploités pendant des années dans des fraudes d’identité synthétique, de faux documents de voyage et d’escroqueries d’usurpation d’identité », explique Incogni, une entreprise spécialisée dans la suppression de données personnelles et la confidentialité.
Ces informations sont particulièrement précieuses car elles permettent aux criminels de :
- Créer des faux documents d’identité
- Ouvrir des comptes bancaires et obtenir des prêts
- Voyager sous une fausse identité
- Mettre en place des opérations de blanchiment d’argent
Les conséquences à long terme des fuites
Les conséquences d’une fuite de données contenant des informations d’identité gouvernementales ne se limitent pas aux premières semaines ou mois suivant l’incident. Les victimes peuvent faire face à des problèmes persistants pouvant s’étendre sur plusieurs années, voire toute une vie.
Dans la pratique, nous avons observé que même lorsque les données financières ou les passeports ne sont pas directement exposés, les identifiants personnels tels que les noms, les dates de naissance et les détails des programmes de fidélité peuvent suffire à alimenter des fraudes à grande échelle. Les attaquants combinent souvent ces informations provenant de différentes fuites pour construire des profils d’identité détaillés.
Cette combinaison de données issue de plusieurs sources crée des risques systémiques qui sont difficiles à contrer. Les passagers peuvent ne pas être conscients du fait que leur information a été compromise avant que les dommages ne soient déjà causés.
L’affaire Qantas : une analyse approfondie
Les détails de la fuite
La semaine dernière, la compagnie australienne Qantas Airways a confirmé une fuite de données affectant ses clients, attribuée au groupe de menaces Scattered LAPSUS$ Hunters. Selon la déclaration de Qantas, les données divulguées incluaient des noms, des adresses e-mail et des détails sur le programme de fidélité Frequent Flyer, ainsi qu’une petite quantité de données plus personnelles comme les adresses postales, les dates de naissance et les numéros de téléphone.
Cependant, la compagnie australienne a précisé que «aucune information financière personnelle, aucun détail de carte de crédit ou de passeport n’a été impactée». Cette distinction est cruciale car elle limite considérablement les risques directs pour les clients concernés.
L’incident a également mis en lumière le risque croissant lié aux fournisseurs tiers, l’incident étant lié à une ingénierie sociale contre Salesforce et à des fuites de données de tierces parties.
« L’affaire Qantas montre comment un fournisseur compromis peut avoir des répercussions transsectorielles, exposant des millions d’enregistrements clients dans un seul incident », a déclaré Darius Belejevas, directeur d’Incogni.
Les risques malgré l’absence de données financières
Même si Qantas a évité le type de fuite le plus dommageable, les consommateurs continuent de courir des risques, selon Incogni. Lorsque des données de paiement ou des passeports ne sont pas exposées, les identifiants personnels tels que les noms, les dates de naissance et les détails des programmes de fidélité peuvent suffire à alimenter des fraudes à grande échelle.
Dans un environnement numérique où les données sont de plus en plus monétisées, même des informations apparemment inoffensives peuvent être combinées avec d’autres sources pour créer des risques significatifs. Les attaquants exploitent ces informations pour :
- Mettre en place des campagnes d’hameçonnage ciblées
- Vendre les données sur des marchés illégaux
- Construire des profils d’identité complets
- Préparer des attaques plus sophistiquées
L’augmentation des cyberattaques contre les compagnies aériennes
Les statistiques alarmantes de 2025
Selon la base de données de renseignements sur les menaces de Cyble, plus de 20 fuites de données de compagnies aériennes ont été revendiquées par des acteurs de menaces sur le dark web depuis le début de l’année 2025, soit une augmentation d’environ 50 % par rapport à la même période de 2024. Cette hausse est en partie due à une focalisation du secteur par Scattered Spider et l’alliance plus large Scattered LAPSUS$ Hunters, mais d’autres groupes de menaces semblent également cibler le secteur aérien.
Cette augmentation significative des attaques reflète plusieurs facteurs :
- La valeur des données collectées par les compagnies aériennes
- La complexité des systèmes informatiques
- La dépendance croissante aux technologies numériques
- L’interconnexion avec de nombreux fournisseurs tiers
Le rapport annuel sur la cybersécurité de l’ANSSI pour 2025 souligne également l’émergence de nouvelles menaces spécifiquement ciblant les infrastructures critiques du transport aérien, y compris les systèmes de réservation et les programmes de fidélité.
Les groupes de cybercriminels ciblant le secteur
Plusieurs groupes de cybercriminels se sont spécialisés dans les attaques contre le secteur aérien. Le plus actuel en 2025 est le groupe Scattered Spider (également connu sous le nom of LAPSUS$), qui a réussi à compromettre plusieurs grandes compagnies aériennes en exploitant des vulnérabilités dans les systèmes de leurs fournisseurs tiers.
D’autres groupes notables incluent :
- CL0P, spécialisé dans le rançongiciel, qui a récemment revendiqué des données de la compagnie régionale Envoy Air
- LockBit, connu pour ses attaques par rançongiciel contre les grandes entreprises
- BlackCat, qui cible souvent les entreprises avec des infra critiques
Ces groupes exploitent diverses techniques, notamment :
- L’ingénierie sociale contre les employés
- Les vulnérabilités non corrigées dans les logiciels tiers
- Les attaques par déni de service pour distraire les équipes de sécurité
- Le vol d’identifiants d’employés ayant des privilèges élevés
Cas récents : Envoy Air et WestJet
L’incident d’Envoy Air
L’incident le plus récent s’est produit cette semaine, lorsque le groupe de rançongiciel CL0P a affirmé détenir des données de la compagnie régionale Envoy Air d’American Airlines. Envoy Air a confirmé l’incident dans un communiqué mais a précisé qu’aucune donnée client n’était concernée.
« Nous sommes au courant de l’incident impliquant l’application Oracle E-Business Suite d’Envoy. À la découverte de ce problème, nous avons immédiatement commencé une enquête et avons contacté les forces de l’ordre. Nous avons effectué un examen approfondi des données en cause et avons confirmé qu’aucune donnée sensible ou client n’a été affectée. Une quantité limitée d’informations commerciales et de coordonnées commerciales peut avoir été compromise », a expliqué Envoy Air.
Cet exemple montre comment certaines compagnies parviennent à limiter les dommages grâce à des protocoles de réponse rapide et des enquêtes approfondies. Cependant, même dans ces cas, la réputation de l’entreprise peut être affectée et les clients peuvent perdre confiance dans la sécurité de leurs données.
La fuite plus grave de WestJet
WestJet, qui a subi une fuite de données en juin 2025, n’a pas été aussi chanceuse, car la fuite a exposé certains documents de voyage des passagers tels que les passeports et autres informations d’identification délivrées par le gouvernement. WestJet a répondu en offrant aux clients concernés 24 mois de protection et de surveillance de l’identité volée gratuits, mais Incogni avertit que les documents d’identité compromis « peuvent alimenter des fraudes pour beaucoup plus longtemps » que deux ans.
Cette situation soulève des questions importantes sur l’efficacité des réponses aux fuites de données et sur la durée appropriée de la protection offerte aux victimes. Dans le cas de WestJet, la protection de 24 mois semble insuffisante étant donné que les passeports ont une validité généralement de 5 à 10 ans dans de nombreux pays.
Tableau : Comparaison des réponses aux fuites de données
| Compagnie | Données exposées | Mesures correctives | Durée de protection |
|---|---|---|---|
| Qantas | Noms, emails, détails Frequent Flyer, adresses, DOB, numéros de téléphone | Aucune mentionnée | Non spécifiée |
| Envoy Air | Informations commerciales limitées | Enquête, contact des autorités | Non spécifiée |
| WestJet | Passeports et documents d’identification | Protection de l’identité | 24 mois |
Stratégies de protection contre les fuites de données aériennes
Recommandations pour les passagers
Incogni recommande que les personnes touchées par des fuites de données aériennes - et les voyageurs en général - prennent des mesures proactives pour se protéger, notamment :
- S’inscrire à la surveillance de l’usurpation d’identité si elle est proposée
- Signaler les appels suspects et les tentatives d’hameçonnage aux lignes directes nationales de lutte contre la fraude telles que le Centre antifraude du Canada ou la FTC aux États-Unis
- Utiliser des mots de passe forts et uniques ainsi qu’une authentification multifacteur sur tous les comptes en ligne
- Supprimer les informations personnelles des courtiers en données et des sites de recherche de personnes pour couper l’une des « raccourcis les plus faciles pour les escrocs »
Ces mesures constituent une défense essentielle contre les risques d’usurpation d’identité qui suivent souvent une fuite de données. Cependant, la protection la plus efficace reste la prévention proactive.
Mesures pour les compagnies aériennes
Pour les compagnies aériennes, la protection contre les fuites de données nécessite une approche multi-facettes :
- Audits de sécurité réguliers des systèmes et des fournisseurs tiers
- Formation renforcée des employés aux techniques d’ingénierie sociale
- Mise en œuvre de l’authentification multifacteur pour tous les systèmes sensibles
- Stratégies de réponse aux incidents bien définies et testées
- Transparence accrue envers les clients en cas de fuite
L’ANSSI recommande également aux compagnies aériennes d’adopter le cadre ISO 27001 pour la gestion de la sécurité de l’information, ainsi que de respecter les exigences du RGPD et d’autres réglementations sur la protection des données.
« Les particuliers et les organisations doivent mieux protéger, et chaque fois possible par tous les moyens ne pas partager, les données sensibles dans une ère où elles sont maintenant utilisées non seulement volées par les cybercriminels et les États-nations mais aussi par des organisations légitimes qui les utilisent à leurs propres fins pour manipuler des résultats spécifiques », a déclaré Ron Zayas, PDG d’Incogni.
Conclusion : une prise de conscience urgente
L’augmentation alarmante des fuites de données dans le secteur aérien en 2025 constitue un signal d’alarme pour les voyageurs, les compagnies aériennes et les régulateurs. Alors que la valeur des données collectées par les compagnies aériennes continue de croître, les cybercriminels redoublent d’efforts pour les compromettre.
L’affaire Qantas, bien que relativement moins grave que d’autres incidents récents, illustre parfaitement comment une seule vulnérabilité dans un fournisseur tiers peut avoir des répercussions à grande échelle. Les compagnies aériennes doivent donc adopter une approche holistique de la cybersécurité, en se concentrant non seulement sur leurs propres systèmes mais aussi sur ceux de leurs nombreux fournisseurs.
Pour les passagers, la vigilance reste la meilleure défense. En adoptant des pratiques de sécurité robustes et en restant informés des risques potentiels, les voyageurs peuvent réduire considérablement leur exposition aux conséquences des fuites de données. La protection des données personnelles n’est plus une option mais une nécessité dans notre monde de plus en plus connecté.
Alors que nous avançons dans une ère de cybersécurité de plus en plus complexe, la collaboration entre les compagnies aériennes, les régulateurs et les passagers sera essentielle pour atténuer les risques et protéger la vie privée des millions de voyageurs à travers le monde.